On a donc vu dans le papier précédent comment est mise en œuvre une représentation de la valorisation d’une forme de masculinité au profit d’une autre, car correspondant mieux à l’organisation sociale marchande capitaliste dont l’une des bases est la performance et la concurrence… il ne me semble pas que ce constat soit le fruit d’une lecture personnelle tant le nombre d’éléments convergents ne manque pas… puis je me suis demandé : comment cette critique sociale opérée dans et par des techniques proprement littéraires – et plus particulièrement narratives – a été reçue ?

Ne disposant pas d’un panel de lectrices ou de lecteurs pour mesurer la chose, il m’a semblé intéressant de me pencher sur les critiques publiées soit sur Babelio ou sur des blogs au sujet de Les garçons de l’été – vous trouverez l’ensemble des liens en fin de papier. Et ce qui frappe, c’est d’abord est avant tout la non-prise en compte INTÉGRALE de la part de ces lecteur·ice·s de la dimension critique sociale opérée dans le roman, je prends un premier exemple, trouvé sur Babelio :

Le point de départ,c’est une famille aisée,apparemment sûre de sa ‘force »,aux règles bien établies et acceptées de tous les membres,une famille du paraître .Tout se déroule normalement,banalement,et la vie pourrait s’écouler ainsi jusqu’à la fin des temps si un maudit requin ne venait bouleverser ce bel agencement en faisant du beau Thadee un handicapé à vie.Et,à partir de là, plus rien ne sera comme avant,le bel équilibre familial va céder sous la bourrasque comme un château de cartes.Un tsunami va emporter les Chastaing,leurs proches et nous avec.1

Le comportement de Thadée, sa violence envers les femmes qui est mise en exergue avant même qu’il ne subisse son accident, n’est pas pris en compte, on en reste au basculement opéré par l’accident. Un autre lecteur écrit :

On pourrait dire que c’est une histoire de surf, de requins et de famille qui déraille suite au handicap soudain de l’un des siens.

Mais, à mon sens, c’est surtout l’histoire d’une famille de psychopathes, au sens propre ou au figuré : ils ont des secrets aussi inavouables que leurs noms sont improbables.2

L’ensemble de la fiction est avant tout appréhendée d’un point de vue psychologisant… pourtant la construction du récit, par la polyphonie narrative qu’on a évoquée dans le papier précédent, tend justement à montrer la manière dont se constitue socialement le caractère de Thadée, à la fois par la mère qui par les clichés qu’elle débite, mais également par la concurrence encouragée par le père. Certaines critiques vont même plus loin, comme celle-ci :

À partir de ce moment [l’accident], tout l’entourage du jeune homme — et lui avec — sort du droit chemin et l’enfer s’installe en chacun d’eux. Les personnages virent de bord, changent de comportement, et l’on en vient à se demander si leur véritable nature était celle qu’ils arboraient avant l’accident ou bien celle qu’ils affichent à présent.3

Quel droit chemin ? On rappellera la tentative de viol de ce même Thadée au début du roman, avant même qu’il ne subisse son fameux accident… la majorité des retours que j’ai pu lire vont en sens, à partir de là, je me suis demandé en quoi, pourquoi cet aspect n’a pas été pris en compte par les différent·e·s lecteur·ice·s ?

Il serait possible d’émettre plusieurs hypothèses non exclusives :

  • 1. le fait que ces éléments se trouvent essentiellement dans la première partie du roman, que ce qui reste dans la mémoire de ces différent·e·s lecteur·ice·s  mécaniquement c’est la seconde, celle qui donc succède à l’accident, qui marquera plus, à partir de là le comportement masculiniste de Thadée sera attribué essentiellement à l’accident.
  • 2. Cet accident fait figure d’élément perturbateur du récit… étant habitué à cette manière scolaire d’appréhender les récits, on considère que ce qui précède l’élément perturbateur est une « bonne » situation, le fameux « droit chemin » évoqué par la lectrice citée plus haut, d’autant que le discours des parents et de perso’s tend à souligner ce caractère normal, alors que la violence est présente dès le début.
  • 3. Le manque de contraste entre les 6 personnages prenant en charge la narration, en effet, à l’exception de Cindy, les 5 autres perso’s font partie de la famille bourgeoise décrite, à partir de là, la diversité de points de vue n’est pas toujours flagrante.
  • 4. La propension à individualiser les problèmes, à ne jamais prendre en compte la manière dont les contextes sociaux et politiques influencent les devenirs.
  • 5. Le fait que les lecteurs eux-mêmes ne remettent pas en cause cette forme de masculinité hégémonique, elle est naturalisée.
  • 6. Le caractère divertissant du roman, on est là pour lire sans se prendre la tête, réfléchir.
  • On pourrait poursuivre ainsi la liste, mais on s’arrêtera là… Autant d’éléments, et bien d’autres, à prendre en compte, auxquels se surajouteront bien d’autres évidemment dans l’écriture et la composition de son propre texte…

1https://www.babelio.com/livres/Lighieri-Les-garcons-de-lete/909929#!

2Idem.

3 https://sanscontrefaconjesuisungarcon.wordpress.com/2018/04/04/les-garcons-de-lete-de-rebecca-lighieri/

Posted by:Ahmed Slama

Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur le site litteralutte.com. A publié, entre autres, Marche-Fontière aux éditions Les presses du réel, collection Al Dante, à commander pour soutenir l'auteur, sa chaîne et le site Littéralutte. À lire la revue de presse de Marche-Frontière.

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