Basculant de la France vers l’Algérie – ça doit maintenant faire dix ans [1] – l’un des premiers trucs qui m’a marqué, c’est le week-end, le concept même de week-end. Bien sûr, en Algérie, on a des semaines, et donc des fins de semaine. Pourtant, le week-end, ça recouvre pas les mêmes implications. C’est que… dans un pays pauvre, dirigé par une poignée de croulants en costards, et de croûteux à treillis, forcément les jeunes, ils en bavent, tous les pauvres s’en prennent plein la gueule. Quand t’as même pas de quoi bouffer, facile de comprendre que tu penses pas au week-end.

Arrivant donc en France, les trois temporalités du week-end ( le vendredi et le samedi soir, le dimanche) m’ont direct sauté aux yeux. Excitation, fête et relâchement. On relâche… la pression, on blow off (some) steam – pas vraiment d’équivalent français, rapport à l’efficacité de cette expression, souffler de la vapeur, l’image directe accessible. Mes premiers mois en France, fasciné par ça, je marchais, je marchais pas mal, les vendredis et les samedis soirs du côté des quartiers « branchés », voir de près ce phénomène qui m’était – m’est encore inaccessible – cette sorte de contre-coup de la semaine, de la pression sociale, du travail, et qu’on relâche, on a sagement effectué ses tâches la semaine, on a obéi, on s’est levé à pas-d’heure, et fait tout ce qu’il fallait, supporté tel·le abruti·e, mais là, c’est le moment, y a le bouchon qui saute.

Triste, de voir ça, moi. Doublement triste, parce que pas la capacité de le reproduire, moi, comme amputé du divertissement, du faire diversion, et de la fête. Littéralement pas dans mon logiciel. Triste aussi parce que vu comme ça, de ma position, ça fait juste exutoire, on croit se libérer, on gueule et on crie pour quelques jours qu’on croit de liberté, libéré·es du boulot et tout. Tout ce qu’on fait, pendant le week-end, est suscité par la frustration, celle du rythme quotidien. Compensation, rien d’aut’, on n’est pas soi. Défoulement pour mieux y revenir, à l’exploitation. Donc, ouais, pas mal de pitié pour ces fêtard·es qui manquaient pourtant pas de se foutre de ma gueule, moi qui passais, seul, par les rues [2], avec le désir pour moi de comprendre, saisir ces concepts de week-end, de fête, d’expression comme : se torcher la gueule, boire comme un trou, faire la ou le con·ne…

Toujours cette gêne de répondre à la question fameuse, vous savez, la quintessence de la question plate, t’as fait quoi ce week-end ? Elle fuse, dès le lundi matin. Ça correspond à peu près au moment où j’écris ces mots ; neuf heures et où je les lirai, vers dix heures.

Ma réponse ? Invariable : lire, écrire, avancer sur quelques textes, une vidéo, un article. Ça se tend autour, pas la réponse socialement acceptable. Le week-end et les vacances, quand la vie roule autour du travail, c’est de la distinction, se distinguer, j’ai fait-ci et j’ai fait ça, je suis allé là-bas, régime de la monstration, en parler, le raconter, son week-end, en longueur, et le montrer à tout le monde autour de soi, les photos et les partages sur les réseaux. Montrer qu’on trime pas pour rien, qu’on profite, on en profite. Vecteur de réussite sociale. Qui a su le mieux tirer profit de son exploitation ?

Je vous vois venir, vous aussi, vous voulez la poser LA question :

Qu’est-ce que t’as fait de ton week-end ?
J’ai retapé le site Litteralutte. Ça redémarre prochainement. Avec peau neuve, en prime c’est par ici ! Pas reluisant comme week-end, hein ?

Posted by:Ahmed Slama

Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur le site litteralutte.com. A publié, entre autres, Marche-Fontière aux éditions Les presses du réel, collection Al Dante, à commander pour soutenir l'auteur, sa chaîne et le site Littéralutte. À lire la revue de presse de Marche-Frontière.

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