On en rencontre assez souvent, partie intégrante des décorations d’intérieur sans imagination, reflets fidèles de catalogues d’enseignes d’ameublement. Ça se présente généralement sous la forme d’un poster, parfois encadré, histoire de protéger le papier, préserver les couleurs de la photographie, représentation de quelque ville d’importance, pas forcément capitale ; New-York, Tokyo, Londres, Los Angeles, Sydney…etc. Des buildings fluides et massifs, une portion de ciel, activité des bureaux, mouvements des badauds, les transports, paysages urbains diurnes ou nocturnes, les lumières, le spectacle qui s’épand partout se répand, luminescences publicitaires toutes enroulées de néons. C’est tout l’imaginaire de la ville qui se déploie, rêve plus ou moins américains, les nuances qui l’accompagnent d’un territoire l’autre. Rien ne transparaît de l’enfer de ce décor, son envers en somme ; multiples déclinaisons de l’exploitation, comment et sur quoi la ville a été érigée, ce par quoi son activité se poursuit et se prolonge, le travail de ces millions d’être, allant et venant depuis leurs habitats précaires, bien éloignés de ce paysage idéel, entretenant les apparences de l’enchantement, tout ce travail invisible, ces milliards de mains qui chaque jour passent par le fil de l’exploitation.

C’est bien ce type d’affiche qu’il fixe depuis un bon quart-d’heure ; il a émergé de l’une des stations de métro à l’entour, s’empressant de retirer son masque, d’absorber une bonne portion d’air frais bien vite remplacée par la fumée de son clope électronique, bouton pressé, la résistance chauffant le liquide, il a déballé son téléphone, y inscrivant sa destination ; il s’est alors mis en route, le regard oscillant entre l’écran, le plan qui s’y trouvait affiché et la succession de rues parisiennes, de repères qui l’émaillaient, commerces et enseignes marchandes. Trois quatre bifurcations plus tard, il y était ; à destination, au bas de cet ancien immeuble dont l’entrée comportait plusieurs plaques gravées, l’une d’elles recoupant le nom du médecin qu’il venait consulter. Trois étages plus haut, tapotant cette oreille droite qui constituait le motif principal de sa venue ici, il s’était retrouvé dans la salle d’attente, fixant ce poster de Paris, dans un cabinet… parisien, une fois reçu par la praticienne, il avait tenté d’esquisser la question, quel est l’intérêt, l’idée de l’affiche dans la salle d’attente ? Elle avait éludé la question, vous venez pourquoi monsieur ?

Avant de quitter le cabinet, il a immortalisé la scène, captant sur son téléphone l’affiche, les chaises disposées contre le mur ; cette photographie de photographie, il la montre à l’une de ces connaissances qu’il a rejoint dès après l’auscultation.

– ça sert à quoi, c’est quoi l’intérêt de mettre une affiche de Paris à Paris…
– c’est où que t’as pris la photo ?
– salle d’attente d’un médecin, dans le XXe….
– t’étais chez le toubib, ça va ?
– je comprends pas l’intérêt, je veux dire… oui, c’est con ces affiches, on les voit partout, tout le monde en met, même chez soi, la grande ville et tout, le rêve et toute cette merde, ok, mais quand c’est la ville dans laquelle tu vis, je veux dire les gens qui viennent consulter, ils sont de Paris, de la région parisienne au moins,
– du coup c’est pas grave ?
– j’dirais pas que c’est grave, non, c’est juste que je comprends pas l’intérêt,
– non, ce que t’as, t’es allé chez le médecin, c’est que t’avais un truc, c’est pas grave au moins ?
– un problème à l’oreille, une otite surement, tu sais que je lui ai demandé, au médecin, pourquoi cette affiche, elle a pas voulu me répondre… elle m’a juste prescrit du paracétamol, pour les maux de tête qu’elle m’a dit…

Posted by:Ahmed Slama

Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur le site litteralutte.com. A publié, entre autres, Marche-Fontière aux éditions Les presses du réel, collection Al Dante, à commander pour soutenir l'auteur, sa chaîne et le site Littéralutte. À lire la revue de presse de Marche-Frontière.

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