… ‘l’ai reprise il y a quelques mois, ç’avait commencé par ces quelques mots pianotés, disséminés au fil des articles et recensions. Ça avait fait naître quelque chose, essaimé un désir : lire-écrire en arabe. On peut pas vraiment parler d’un retour ; le retour suppose qu’on n’y était, dans l’arabe, qu’on l’avait en quelques sortes adoptée, ce qui ne fut jamais le cas, l’arabe fut cette langue utilitaire, administrative et scolaire ; rien de plus.
D’autant plus étonnant que je m’y penche ou que j’y penche à l’arabe, maintenant, bien des espaces et des années m’en séparant, alors j’en suis passé par l’acquisition de quelques romans et poésies arabes, la transformation du clavier ; on y revient à ces temps où l’on tâtonnait devant le clavier, on se figeait suspendu, les yeux rivés aux touches, hésitant, cherchant la bonne touche, écumant les tutoriels pour, par exemple apprendre à faire الشدّة – c’est le petit signe que vous voyez écrit juste au-dessus du د ; bien pratique comme signe qui vous évite de répéter la même consonne, on le met sur un ّn et on comprend direct, double n, on écrirait alors : consoّne – mais tout ça, les hésitations sur le clavier, les touches à appuyer, les allers-retours entre la feuille simulée à l’écran et le navigateur, bah, pas d’automatisme dans et par l’écriture, on est alourdi, on est engoncé, cette habitude d’oublier son corps, s’oublier, et laisser aller les doigts la planche des clés – traduction littérale de clavier : لوحة المفاتيح .
Les effets ne se sont pas fait attendre, se surprendre user de l’arabe pour la réécriture du roman à paraître, un mot par-ci des dialogues par-là, rien de bien consistant, pas encore la réalisation de ce désir, écrire et pour de bon – mais pas uniquement – en arabe, et pourquoi pas réécrire, réécrire ses textes, ses propre textes anciens, en arabe, pas traduire, réécrire, et pas dans cet arabe standard et scolaire qui, justement, a engendré le rejet de la langue, non, ça serait cet arabe dit dialectale, celui des rues oranaises, Oran ? Et pourquoi pas reprendre le roman publié : Orance,
… les pages du roman d’un côté, un bloc-note de l’autre, écriture manuscrite, et sur les terrasses, ces regards sur la main, ma main et le stylo qui vont pas dans le bon sens, parcourent la feuille de droite à gauche, interrogations, on se penche sur la feuille – ou l’écran – et parfois ce sursaut : pas français ! que l’on devine, ou plus précisément : pas alphabet latin !
… le jeune homme erre parmi la mouvance perpétuelle, émulation d’un marché quotidien, la Bastille,
الشّاب يتيه في السّوق اليومي : لاباستي
Étrange, ici, la manière dont la phrase s’est raccourcie ; plus d’émulation, de mouvance, juste le jeune homme erre, marché quotidien, La Bastille, hésitation, écrire la Bastille en lettres latines ?
son flux continu, des pas, tout autour de lui, qui s’esquissent, cabas bourrés de denrées hétéroclites,
خطوات حوله , قفّات و حقائب مليئة بأغذية متنوّعة
Pas de flux continu, les pas ne s’esquissent pas, cette hésitation peut-être qu’en français, en réécrivant aujourd’hui, je n’aurais pas mis ce verbe, et puis cette étrange distinction ; pas simplement cabas : mais paniers et cabas pour cette précision présente arabe et pas en français ?
leur mouvement de balancier,
, مسار الحقائب , حراكاتها الثّابتة : من الأمام إلى الخلف
Le plus difficile ici, pas d’équivalent à balancier en arabe. Évoquer alors la trajectoires des cabas (mais pas des paniers), leurs mouvements réguliers, d’avant en arrière, et le mot pour désigner cet « arrière » pas le plus commun, le choix se portant sur un synonyme, pas naturel pourtant, peut-être ce désir de vitesse en prenant le terme qui comporte le moins de lettres.
cabas aux formes vaguement traditionnelles, tressés de plastique multicolore,
قفّات بشكل تقليدي مجدولة بلاستيك منتنوّع الألوان
Évocation ici des paniers, ce sont eux qui sont tressés de plastique multicolore, un peu de gêne, pas trouvé d’équivalent à multicolore, en un mot, ‘ai opté pour le classique et plat : de différentes couleurs. Sinon pas de vaguement ici ; est-ce le passage à l’arabe ? Le lecteur arabe sachant que ces paniers ne sont pas traditionnels ? Alors que pour le lecteur français, il faut préciser ? Hypothèse.
les éviter, avancer, sol cartons-boueux
و هو يتجنّبهم , يمشي على الأرض الّتي تحوّلت إلى كرطون موحّل
le pronom personnel apparaît et lui les évite, sinon pas ce verbe à l’infinitif, avancer, et puis le sol carton-boueux devient : le sol s’est transformé en carton boueux. Étrange tout de même pas pu, pas voulu écrire directement carton boueux, l’impression que ça ne fonctionnerait pas.