Apparemment ça venait d’un oncle qui avait partagé l’appartement avec mes parents, cet oncle décédé à quelques années de ma naissance. C’est à lui aussi qu’on devait les tableaux qui décoraient l’appartement, reproduction de La Joconde qui trônait dans le salon et quelle ne fut pas ma déception quand je découvris (à l’âge de dix ans) que ma famille n’avait pas en sa possession l’original, que ce ne fut pas mon oncle génial (et inconnu de moi) qui avait créé ce chef-d’œuvre partout reproduit. Je me consolais en découvrant ses peintures auxquelles je ne comprenais rien à l’époque, tout à fait fasciné pourtant. Parmi des formes qui me semblaient alors dénuées de sens, je parvenais à reconnaître des paysages familiers, des rues et certaines places d’Oran. Il y avait ce mouvement – je peux le dire maintenant dans et par le recul d’une certaine et relative culture picturale accumulée depuis – il tentait, et réussissait, à capter l’atmosphère urbaine, son mouvement. Et ce même oncle trop tôt disparu, se trouvait être un furieux lecteur* et bibliophile. Ainsi est-ce par l’entremise de ce Noureddine que j’ai fait mes premiers tâtonnements de lecteur. Dans l’espace de lecture qu’il s’est créé, qu’il a créé que je me suis mu que nous nous sommes tous et toutes mu·es, frères et sœur. Étrange, avec le recul, de constater l’influence majeure d’une personne que je n’ai connue qu’au travers de ses peintures, quelques gribouillis çà et là et les récits qu’on m’en a fait, qu’on m’en faisait, ma mère et mon père, et les gens de notre حومة [quartier]. Toutes et tous disaient qu’il était assez étrange comme mec, lunaire et lunatique. Colérique, au profil émacié. Cette légende, vite démentie par ma mère, qu’il n’acceptait de se nourrir qu’après avoir achevé un tableau. Emporté au milieu de sa trentaine par une Leucémie. Il y a des personnages ainsi qui vous sont inconnues, disparues, décédées et qui marquent votre de leur empreinte, plus que ne l’a jamais fait votre géniteur.
*On en reparlera bien plus tard, quand j’évoquerai la lecture Des faux-monnayeurs en sa compagnie.