L’habitude développée depuis maintenant quelques années, lire un texte, non pas selon mes goûts et mes échelles de valeur, non pas juger, mais essayer de comprendre le comment du pourquoi ou le pourquoi du comment, de l’écriture et de la composition. Les livres que j’ai pu évoquer ici ou là ne reflètent pas forcément mes goûts à moi, mes lectures quotidiennes ou même les textes que j’ai pu écrire, que j’écris au fil des jours.
Y a cette recherche d’œuvres qui se tiendraient d’elles-même* ; rechercher non pas une quelconque unité de l’œuvre, mais ce que j’appellerai – faute de mieux pour l’instant – une émotion, ce qui, à mon sens, fait la singularité d’une œuvre. Dans le cas qui m’occupe actuellement, Yoga d’Emmanuel Carrère, il est difficile, voire impossible de considérer ce texte comme appartenant au registre littéraire. On n’a pas affaire à un écrivain, mais un écrivant. L’émotion est simple, chez Carrère – dans ce livre du moins – et explicitée ; vendre.
« Et en plus, me disais-je en mon avide for intérieur, énormément de gens font du yoga aujourd’hui, énormément de gens seraient contents de mieux savoir ce qu’ils font en faisant du yoga : c’est un livre qui peut faire un carton. »
E. Carrère, Yoga,p.55
On pourrait alors m’objecter – à raison – que je suis bien naïf, moi, de considérer qu’un écrivain qui veuille vendre du papier soit obscène ou malsain, de retirer le qualificatif écrivain·e à une personne se prêtant à de telle pratique. Le livre et plus généralement la littérature sont des produits. Ça a son histoire la marchandisation de la littérature, déjà, en son temps, Balzac, sous pseudonyme, parlait de « littérature marchande », Gautier également**. Mais il y avait d’autre choses, cette recherche de la vente s’accompagnait d’une recherche. Dans le cas qui nous occupe, Yoga de Carrère, ce qu’on va nommer « la stratégie textuelle » elle est cyniquement orientée pour vendre du papier, sans autre fin.
À ce moment on pourrait m’objecter également que, sous cet angle de la littérature marchande, il vaudrait mieux aller voir du côté d’un Marc Lévy ou Guillaume Musso (entre autres) – qui représentent à eux deux les plus gros vendeurs de papier. Leur cas est pourtant différent, eux, au moins, (se) sont positionnés comme des écrivains de « littérature marchande » pas de prétention littéraire ou si peu, c’est marqué dessus comme on dit. Carrère non. Publiant et écrivant du côté de P.O.L maison à forte « valeur » symbolique***, cette valeur se transmet à son texte. Soyons concrets, la valeur est essentiellement extrinsèque – en gros, elle vient du dehors. Si l’on prend un texte imprimé sur des feuilles A4, le même texte publié sur un blog ou sur un site, et le même texte imprimé et enveloppé dans une couverture des Éditions de Minuit ou P.O.L justement ou tout autre maison à forte valeur symbolique ; ce même texte, ces mêmes mots, ne seront pas lus de la même manière, l’attention portée au texte sera tout à fait différente.
Moi qui ne voyais pas au départ l’intérêt de ces chroniques négatives, je commence à l’entrevoir, non pas dé-valoriser un texte, mais tenter, dans et par une analyse circonstanciée d’effeuiller les valeurs qui se sont accumulées autour de ce livre, celle du soi-disant prestige de l’écrivain – ici Carrère –, celle de la circulation circulaire de l’information – en gros la presse et les médias – ; (re)mettre en quelque sorte le texte à nu.
* En cela peut-être que je suis encore influencé par ce qu’on appelle en Littérature les théories de la lecture ou les théories de l’effet de la lecture.
** J’évoque ces deux-la parce qu’ils l’ont vue la mutation, c’est à leur époque qu’elle s’est opérée avec l’avènement du capitalisme et de la société marchande.
*** Dans le sens où cette maison, dans l’imaginaire des lectrices et lecteurs rassemble des écritures contemporaines originales et n’ayant pour principal objectif de se conformer aux demandes du marché littéraire.