Le poème n’est rien… n’y voyez aucune provocation. Au sein de l’organisation sociale marchande, le blé n’est pas du blé, quelque vêtement que ce soit n’est pas un vêtement, mais simplement la valeur qui lui est affectée ; quant au poème, il n’est rien.
J’ai tissé quelques pages autour de ça, c’est à paraître – prochainement – du côté de la revue Attaques [Al Dante / Les Presses du réel] avec cette interrogation, toujours renouvelée, pourquoi n’évoque-t-on pas dans le champ de la littérature et plus précisément celui de la critique littéraire, le capitalisme. Pas simplement ce que l’on nomme ses « dérives », la finance et tout le toutim, pourquoi (à quelques exceptions près, il en existe fort heureusement) le capitalisme n’est-il pas mis en cause ? On euphémise, on a des pudeurs, on parle de fric, on parle de pognon, jamais – ou presque – du capitalisme, que fait le capitalisme à l’écriture, à la littérature ?
Ce week-end encore, la même interrogation a surgi, lisant l’excellent agir non agir [1], éléments pour une poésie de la résistance écologique [José Corti, 2020] de Pierre Vinclair, pas de capitalisme. Le mot quasi-absent, deux occurrences, la première se trouvant à la page 154. L’essai ne manque pourtant pas d’intérêt – je vous en parlerai (très) prochainement du côté de litteralutte qui va redémarrer et a profité de cette absence pour faire peau neuve. Les développements sur l’engagement – en contournant Sartre –, la question tout à fait fructueuse de l’écriture collective, de mettre du collectif, là où l’individuel écrase tout, ce sont des questions tout à fait stimulantes et rafraîchissantes que porte Pierre Vinclair en nous amenant parfois dans les arrières cuisines de ses poèmes, annihilant par ce geste le mythe du génie créateur.
… mais comme nombre d’essais littéraires, ou appartenant au champ de la critique littéraire, pas de capitalisme, sorte de mot tabou, l’effacement du terme (et donc du concept) le rend insaisissable, est-ce un gros mot anti-capitaliste en littérature ?
Pourtant cette dernière, la littérature, n’est pas forcément gâtée ou plutôt si, elle l’est ! Radicalement et profondément gâtée et abîmée par le capitalisme. Combien d’écrivain·es et de poétes·ses ne pouvant écrire à cause de la pauvreté, obligé·es d’aller vers des horizons leur permettant de (sur)vivre. Les logiques commerciales ayant avorté le devenir écrivain·es de nombre d’individus.
Dans le champ de la critique littéraire trouve-t-on donc si… naturel, si normal que l’activité de l’écriture ne soit réservée qu’à celles et ceux qui ont su tricher avec l’organisation sociale capitaliste, ont sur déjouer le travail obligatoire et les souffrances que ça suscite, pour enfin se libérer quelque temps pour… écrire.
Ou alors considère-t-on qu’il faut avoir les moyens de parvenir à commencer et poursuivre cette activité ?
À l’heure des ateliers d’écritures, du creative writing, d’un certain pouvoir que veulent (re)prendre – à juste titre – lecteurs et lectrices sur la création [2] tentant de briser par ce geste même la division sociale du travail littéraire et plus largement artistique – d’un côté lecteurs et lectrices de l’autre l’écrivain·e. Au moment où s’opère justement cette déconstruction lente et (trop ?) patiente du mythe de l’écrvain·e génie, doué·e (don), peut-être qu’il serait tant qu’on parle aussi matière, de matérialisme littéraire.