… ne pas penser le travail, ce qu’est le travail. Terme dont on use d’une manière si frivole, si rapide sans réellement penser les conséquences du concept ; il m’arrive de parler du travail, du travail comme impensé et pourtant je n’échappe pas à la confusion que tout le monde (à quelques exceptions près) commet. Comme il ne suffit pas de se dire féministe ou anticolonial pour l’être, il en va de même pour le travail ! Hier, relevant les bêtises d’une chroniqueuse radio ; je m’attarde aujourd’hui sur les miennes – plus fines et plus subtiles certes, ça n’en reste pas moins des bêtises,

Ainsi je décrivais « l’activité domestique » comme travail ; ce qui est une aberration. Considérer le ménage, la préparation des plats et le fait de s’occuper des enfants (entre autres) comme relevant du concept de « travail » c’est commettre une irréparable méprise.

En excluant cette activité de la sphère du « travail », il ne s’agit pas ici de la déconsidérer, bien au contraire c’est une rigueur, nécessaire, pour démythifier le concept de « travail », impensé majeur de notre temps.

« Travail », on utilise ce mot-concept sans trop y faire attention ; on écrit travail pour dire : « dépense d’énergie humaine indifférenciée. » On fait alors du travail un concept anhistorique – détaché de son contexte historique – alors que le « travail » comme concept, ça a toute une histoire ! Une histoire qui est étroitement liée au capitalisme et à la production de la marchandise. Je reprends ici un exemple donné par Benoît Bohy-Bunel :

« Dans les sociétés précapitalistes, jamais l’idée de penser socialement la synthèse de deux activités aussi différentes, par exemple, que le fait de fabriquer du pain d’un côté, et le fait de composer un morceau de musique de l’autre, pour les subsumer finalement sous un seul et même concept, le travail en général, jamais cette idée n’aurait pu germer dans les esprits, ni même donc, produire des effets réels dans la production et dans la circulation des biens. Il n’y a, pour ces sociétés, que des activités spécifiques, concrètes, utiles, a priori incommensurable entre elles. »*

Et c’est justement à cause du vague qui entoure la définition du concept de « travail » qu’on en vient à mettre sur le même plan : la fabrication d’armements et le fait d’enseigner (par exemple) ; d’établir une égalité entre les agricultrices et les publicitaires. Pourtant dans les exemples qu’on vient de citer, il y a clairement des « activités » plus utiles que d’autres. Utile, c’est relatif, on le sait, utile à qui ? C’est que la production d’armes et la publicité (entre autres), elles sont utiles d’abord et avant tout au marché.

D’où l’intérêt de ne pas simplement lutter contre « le travail salarié » ou ce que d’autres appellent « emplois » ; mais de lutter contre le « travail » tout court, ce « travail » faisant partie intégrante du capitalisme. Ainsi considérer « l’activité domestique » comme « travail » ; c’est étendre la sphère du travail et donc du capitalisme, continuer, prolonger et renforcer cette confusion de la notion de travail qui, pour le capitalisme, renvoie à la création de valeur. Pas pour rien que le capitalisme a dénigré cette « activité domestique ». Il me faudrait encore pas mal de pages pour expliciter le propos en attendant vous pouvez aller lire ici ou des textes à ce sujet. Mais on va conclure, pour l’instant, avec un aphorisme de Roswitha Scholz** : « La valeur, c’est le mâle. »

* Benoît Bohy-Bunel, « La critique radicale du travail, et son incompatibilité structurelle avec le principe spectaculaire », à lire ici :

** Roswitha Schloz : « Le Sexe du capitalisme », Crise et critique, 2019. lien

Posted by:Ahmed Slama

Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur le site litteralutte.com. A publié, entre autres, Marche-Fontière aux éditions Les presses du réel, collection Al Dante, à commander pour soutenir l'auteur, sa chaîne et le site Littéralutte. À lire la revue de presse de Marche-Frontière.

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