… fallait s’y prendre à la pince à épiler, du boulot d’orfèvre, décoller d’abord, minutieux… non, ça n’a pas commencé avec la pince. Peut-être encore cette histoire de flux. Ou ce jour ? en plein confinement, quel jour du confinement, ce ne fut qu’un long jour, ininterrompu… appelons ça, le jour du confinement, puisqu’il n’y en a eu qu’un – avec un deuxième en préparation, enfin je crois. Jour de confinement où, ayant chamboulé le combinateur – comprendre ordinateur –, j’ai installé la langue arabe, besoin pratique, moi qui, depuis quelques mois déjà, m’en rapprochais, y revenais à tâtons, la tâtant, la langue arabe, par le filtre du clavier virtuel –lexilogos – oscillation permanente entre les touches latines palpables et les arabes à portée de regard, ça allait comme ça, pour un mot, de temps en temps, puis trois ? huit ? une phrase, un vers… on connaît la pente savonneuse, un texte entier, pas le temps, plus le temps de passer par le filtre d’un second clavier, la langue arabe qui s’infiltre dans mon OS – système d’exploitation –, un pas de plus, loin d’être le dernier, libreoffice qui tourne عربي (arabe) mais pas d’inscriptions correspondantes là, en bas, et qui forment ce damier subtil, voilà, on y vient à la pince à épiler, achat de stickers arabes à coller sur les touches ; provenance, quelque librairie du côté de Couronnes, pas loin du portrait peint de Perec. Y entrer masqué, attendre dans la boutique vide, dix bonnes minutes, tout était à portée de main, des bouquins en arabe, les passe en revue, pas de romans, ou si peu, ou plutôt des romans jeunesse, j’aurais pu tout chiper, mais, ‘me suis arrêté, ‘suis resté aimanté par une poupée, 40 ou 50 centimètres, parfait pendant Barbie, là où la plastique – c’est le mot – fantasmée influence les imaginaires de millions d’individus, incorpore les idéaux de corps féminins, lisses, aux courbes rebondies, ici le calque parfait, poupée tout de rose enveloppée je devrais plutôt dire voilée, ça se fond si bien dans tout le capitalisme, se confond avec tout, il est finalement revenu, bonjour de circonstance, 3 euros cinquante le bloc de stickers, fabriqués ici par nous-même qu’il tient à me préciser, et me demande si j’ai pas besoin de manuel, pour l’arabe, lui répond en arabe, semble étonné que je maîtrise, bon pas le temps, je file, devant le combinateur, la plaquette, la pince à épiler (j’ai une pince à épiler ? m’en étonne encore) tester chaque touche et coller le sticker correspondant, une demi-heure, du boulot pas trop cochonné, et maintenant ? on peut s’y mettre à l’arabe… mais avec quoi ? passage en revue de la bibliothèque personnelle, pas de bouquin, aucun bouquin en arabe, si ce n’est un recueil bilingue de محمود درويش [Mahmoud Darwich] – peut vous le dire maintenant, bien plus pratique de rester sur sa page libreoffice et en deux tapotements basculer vers l’arabe et écrire et revenir – se procurer quelques romans, quelques romans en arabe, mais où ? le réseau de librairies, se procurer un livre, n’importe lequel, ‘sais faire, mais en arabe, tout un horizon, nouveau, LIMA (Institut du Monde Arabe) ?
… jamais foutu les pieds et ça risque pas d’arriver. Chercher, quêter, librairies indépendantes. Doit exister, mais avec le contexte actuel. Masque et pistage. D’ailleurs j’y pense au pistage. Ces recherches en arabe. Ce temps écoulé à regarder du côté des catalogues des librairies arabes et le moteur de recherche qui me renvoie systématiquement aux librairies islamiques. Et quand j’y pense, à moi, mon profil, peu de fréquentations, assez solitaire, peu d’échanges avec les gens. Ma personne foisonne de signes de radicalisation. Pour l’instant tout le monde est concentré sur aut’ chose. Donc librairies arabes – ou vendant des ouvrages en arabe – indépendantes. Pile. Librairie l’orient. Pas loin de Jussieu. Trop loin. Pas le choix. Arrêt – juste par curiosité et parce que je suis dans le coin – du côté de Gibert, V.O. Entrer masqué, comme toutes et tous, rayon littérature arabe, rayon frêle. Demande au vendeur, vous auriez du نجيب محفوظ [Naguib Mahfouz] ; il comprend pas, ça doit être le masque, ‘répète, nope, j’articule, nada, en francisant, en prononçant à la française ? Ça semble fonctionner, je le suis vers l’étagère maigrichonne, il s’arrête, un peu gêné, ha j’ai confondu, je pensais que c’était Mamoud Darouiche (prononciation à la française) bref, quelques pas, vingt minutes à pied, librairie l’orient, un long couloir, et qui croule sous les livres, aspect agréablement miteux, pas aseptisé pour un sou, ressemble furieusement aux bouquinistes de mon enfance, chez qui je m’abreuvais de bouquins en français ; vous avez dit paradoxe spatial et temporel ? Oui, on a نجيب محفوظ [Naguib Mahfouz] ; pourquoi forcément lui ? Ça me traverse, il y en a des autrices et des auteurs pourquoi mon esprit penche vers lui, mon doigt sillonne les dos sur l’étagère marquée d’un agréable ن manuscrit, et je chipe, comme ça, القاهرة الجديدة [La Caire nouvelle – titre en français : La belle du Caire, avec photo bien orientaliste pour la couverture folio Gallimard pour l’orientalisme, c’est par ici], سمير [Samir] mais oui ! سمير cet égyptien, clochard céleste avec qui je traînais parfois en Avignon, y a 5 ans, le seul avec qui je pouvais discuter littérature arabe, de lui que ça venait القاهرة الجديدة recommandation longue de cinq ans et qui, au bout de tant d’espaces parcourus, tant d’évènements, revirements, basculements avait fini par se frayer un chemin vers le réel.