Ce temps où cohabitaient العربيّة و الفرنسيّة l’arabe et le français, jusqu’au collège qu’elle a duré cette maîtrise quasi-équivalente des deux langues ; basculement et jonglage linguistiques* s’opéraient avec aisance. Jeu auquel je me prêtais quand ma mère me filait des livres bilingues, lire une page en arabe et la suivante en français, s’amuser à comparer l’original avec sa traduction. Ce livre ou ces livres en particulier, édition jeunesse et bilingue de la biographie de محمد Mahomet et de sa bande ; une question me trotte, pourquoi des biographies pour un gamin, pourquoi des biographies de figures religieuses ? Pourtant, mon milieu familial immédiat, pas de croyance et de foi, ou si peu, ou de façade, juste pour donner le change.
Sûrement dû à l’époque, moi né en queue de comète de la guerre qu’a suscitée puis menée un état contre les classes les plus démunies, cet état qui avait joué la carte de l’islamisme et l’avait laissé pourrir. Rien n’a changé, on pourrait dire que c’est ce à quoi on assiste aujourd’hui, en France. Tensions rapport à la religion, au fait religieux, fallait que ça file droit à ce niveau, forcément j’ai eu droit a une éducation agrémentée de religion. C’était un peu le credo familial ; caméléon social ma famille, changeant d’avis et de vie en fonction du milieu où elle se trouvait immergée – l’onomastique des enfants l’illustre parfaitement.
Et pour en revenir à ce livre, cette biographie, j’en garde un souvenir particulier, comme un roman – que c’était ? – ou un film, ce réflexe que j’avais – que j’ai encore – de m’identifier ou m’attacher non pas au personnage principal, mais au second rôle, tenu, dans cette biographie, par عمر إبن الخطّاب Omar Ibn El Khattab ; un des compagnons de محمد Mahomet.
On est gamin, et un garçon qui plus est, on est bercé par le portrait viriliste, celui du guerrier conquérant ; on alors cette manière de transposer les récits de chevalerie, de capes et d’épées, au monde « oriental » ; on a vu à la télé Lancelot et Merlin ; dans et par les mots et les phrases de ces livres, on remplace le chevalier blond par un personnage au teint mat, l’épée bien droite par un cimeterre recourbé, les forêts et les vastes pleines vertes par du jaune, du sable et des dunes. Ça fonctionne à plein régime, on y est en plein dans cet imaginaire guerrier.
Dans un pays – l’Algérie – où dès l’enfance on entend ses parents, sa famille, ses voisins et ses proches, partout et tout le temps, suffit de tendre l’oreille et ça afflue, elles affluent ces plaintes quant à الرّشوة la corruption. Celui-ci ou celle-la n’ayant pu obtenir un extrait de naissance ou un droit élémentaire sans avoir mis sur la table quelque بكشيش bakchich ; bah lire, dans cette biographie, l’inflexibilité de عمر إبن الخطّاب Omar Ibn El Khattab ; cette anecdote en particulier rapportée dans le livre et que ne cessait de me répéter ma mère :
– tu sais عمر Omar, quand il est devenuخليف Calife, il est resté juste ! Il habitait dans une tente et quand il recevait des gens il leur demandait toujours si c’était une visite personnelle ou professionnelle, selon le cas, il allumait soit sa bougie à lui, soit la bougie de Califat, parfois avec la même personne, dès que ça commencer à parler de choses personnelles, ah bah, عمر Omar il éteignait un bougie du califat, pour allumer sa bougie, à lui, c’est ça être juste…
À partir de là, à partir de cette mythologie – au sens strict – de la justice, on peut comprendre aisément que beaucoup qui, comme moi ou plus que moi, ont cru – fait leur croissance – dans et par ces croyances en l’existence d’une justice mue par la foi, adhèrent à cette foi, y croient comme remède ou solution contre le capitalisme et les injustices. Ma mère qui se plaçait, s’est toujours placée, contre le FIS [Front Islamique du Salut, bah, à sa manière reproduisait son schème de pensée ; pas si facile de s’extraire de l’influence ou plutôt de purger l’incorporation.
Enfant, j’en avais donc lues pas mal, de ces biographies, celle de محمد Mahomet et de toute la bande, qu’on le veuille ou non, ça infuse, ça fait partie de nous, même quand quelques années plus tard – au collège – on se détache progressivement puis carrément de la moraline religieuse, de l’immanence d’une justice. Ça reste en nous, dans nous, comme des contes de fée ou des histoires de capes et d’épées, personnages – parce qu’ici, c’est bien de ça qu’il s’agit – qui nous influencent, dont on incorpore les manières, comme on l’a fait pour Bugs Bunny ou plus Arsène Lupin et qu’on le fait encore… avec tout ça, je me rends que j’ai raté l’essentiel, ce dont je voulais parler / écrire, la question de la langue, et comment j’ai fini par abandonner l’arabe au profit du français, ça sera pour une prochaine fois.
* qu’on appelle en linguistique l’alternance codique ou le code-switching