C.I.R(er des pompes)

« Chair à travail » fiction en cours de finalisation, revient dans et par l’écriture d’un journal sur la centralité donnée au travail dans l’existence, au travers du parcours d’un immigré fraîchement « régularisé ». Retrouvez l’ensemble des extraits ici.

Ça se confirme, finies les histoires de sans-papiers. D’autres s’ouvrent au son de l’enveloppe décachetée. Un papier, une liasse plutôt : Contrat d’Intégration Républicaine. À signer si tu la veux ta régularisation, en quoi ça consiste ? Tout tient dans l’acronyme, C.I.R – cirer des pompes. Celles du pouvoir qui t’a accordé le sésame. En gros, tu passeras quelques jours le cul collé à une chaise, tu subiras le laïus des agent·e·s de l’office de l’immigration. On t’expliquera, par le menu, comment vivre dans un pays où t’as baroudé ces dix dernières années. On t’inculquera les valeurs de la république française. Longtemps, t’as été indésirable sans-papier – ta force de travail achetée pour moins que rien. Maintenant que t’as des attaches familiales en France qui font qu’on est dans l’obligation de te régulariser et d’exploiter désormais légalement ta force de travail ; faut te travailler au corps, te polir, t’attendrir la couenne, que tu deviennes citoyen modèle. Intégré aux rouages de l’organisation sociale. T’en passeras par les expert·e·s de la réinsertion qui te trouveront une utilité quelconque. Qui t’expliqueront comment accéder à l’emploi. Comment te vendre au mieux, toi la chair à travail, aux employeurs. À peine sorti de la préfecture, c’est le tiercé – dans le désordre – que je décroche : travail, famille, patrie.

(…)

Contraint et forcé, il se rend à l’adresse indiquée sur le papier de la préfecture, zone commerciale en périphérie avignonnaise. Pour accéder aux bureaux de l’organisme chargé de dispenser l’une des formations, il faut traverser la galerie marchande, les enseignes qui bouffent l’horizon, à peu de chose près, c’est la même chose qu’on propose ici, de la production vite-faite, vite-consommée. Son rendez-vous, c’est au bâtiment tout derrière ; un rectangle vitré, le GRETA pour Groupement d’Établissement, structure chargée d’organiser la formation des adultes. Envers du décor(um) marchand, fournisseur officiel des petites mains qui viendront ranger, récurer, achalander, vendre, voire gérer les machines à marchandise. Face à ces bureaux, il y en a de la ressource et de la force de travail à domestiquer, polir, préparer à l’exploitation ; dizaines de barres d’immeubles occupées par celles et ceux chassé·e·s  du centre de la ville par l’inflation immobilière.

Ayant présenté sa convocation à l’accueil, on l’envoie au premier étage, première porte à droite ; salle d’attente, deux femmes et trois hommes y sont assis·e·s, cou penché, fixant le rectangle tactile. Il se colle à la vitre, ça donne sur la cité d’en face. Vue panoramique, ou quasi. On ressent les intentions des architectes, éviter la condensation urbaine, compenser la réclusion imposée par ces bâtiments en aménageant des espaces soi-disant verts ; zones plus ou moins ombragées, des aires de jeux placées entre les barres, elles devaient être visibles depuis les fenêtres. À cette heure – entre 8 et 9 – les habitant·e·s s’arrachent à leurs appartements, ça trottine en direction du parking ou ça se plante devant l’arrêt de bus. D’une manière ou d’une autre on roulera sur le circuit cabossé, les routes agrémentées de patchs goudronnés. Bonjour qu’il entend, il se retourne, une dame, au seuil de la salle et feuille en main, égrène les noms des présent·e·s. Elle invite tout le monde à la suivre, porte marquée « salle de réunion »,

– installez-vous, la conseillère arrive,

Ahmed Slama
Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur le site litteralutte.com. A publié, entre autres, Marche-Fontière aux éditions Les presses du réel, collection Al Dante, à commander pour soutenir l'auteur, sa chaîne et le site Littéralutte. À lire la revue de presse de Marche-Frontière..

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